Dans l’temps qu’j’avais huit ans, avoir des feelings, ç’tait mieux, m’semble.
Ç’tait ben mieux quand on comptait encore l’amour sur des pétales de fleurs.
Quand les agripper entre nos deux doigts pis les arracher était une activité qui devait s’pratiquer avec beaucoup d’soin.
Ça devenait mathématique parce qu’on trichait tout l’temps en calculant l’nombre de « y m’aime pas pantoute-un peu-beaucoup » qu’on aurait besoin pour finir avec un « y m’aime à la folie » pis un smile dans notre cœur de kid.
Même les filles qui jouaient la game du non-moi-j’triche-jamais se mentaient à elles-mêmes.
On faisait toutes exprès pour avoir la réponse qu’on voulait mais on réussissait pareil à s’convaincre que ç’tait l’Dieu-des-pétales-de-pissenlits qu’y nous disait qu’on était aimée par le quelqu’un qu’on aimait itou.
Après, on s’vantait à nos amies qu’le cute-dans-l’autre-classe était in love avec notre face pis sûrement nos ch’feux bouclés aussi.
Aimer ç’tait facile, ça prenait juste un p’tit « salut » d’la main gauche pendant la récré ou l’partage d’un sac de bonbons pendant l’dîner pour réveiller nos sentiments de j’trippe-dessus-ben-raide.
En plus, partager ses collations ç’tait super wild parce qu’on avait pas l’droit (à cause des allergies aux peanuts) mais nous, les filles, ç’a l’air qu’on aime ça depuis toujours, les bad boys.
Maintenant c’est plate parce qu’y’a pus d’pétales à compter, juste des pouces.
L’amour se compte su’l nombre de likes que l’cute-dans-l’autre-classe a donné à nos photos d’profil pis nos statuts un-peu-boring-dans-l’fond trop souvent inspirés des paroles de tounes tristes à Ed Sheeran.
« Take me into your loving arms;
Kiss me under the light of a thousand stars;
Place your head on my beating heart. »
Avec un less-than-three qui s’transforme en cœur: < 3 (mais collés sinon ça marche pas tout l’monde le sait).
On espère que l’cute-en-question voit notre quote pis comprenne que ces mots-là, on les a écrit juste pour lui.
Sauf qu’y comprend jamais pis notre bulle pète quand y donne des pouces à d’autres filles avec des faces plus belles que la nôtre pis même des ch’feux mieux bouclés.
Pendant ç’temps-là, les pissenlits ont l’temps de s’transformer en pollen parce qu’on leur enlève pus leur jaune.
Par terre, on croise jamais d’tiges vertes de restants-d’fleurs-toutes-nues déshabillées par des cœurs amoureux.
C’est p’t’être moi qui capote mais j’trouve que ç’pas sain pantoute.
J’nous dis pas d’compter des pétales, on a pus huit ans quand même.
Mais on pourrait p’t’être recommencer à chercher nos feelings à des places qui existent pour vrai pis pas juste dans nos écrans.
Quand on était p’tits, on savait clairement pas ç’tait quoi aimer, mais on avait quand même compris une chose: des sentiments ça s’réveille avec des contacts humains.
Fa’que au lieu d’écouter du Ed Sheeran même si c’est bon pis d’faire des thumbs-up avec un pouce qu’y’est pas à toi, va voir ton cute pis fais-lui un p’tit « salut » a’ec ta main gauche.
Tu vas voir, c’est ben mieux.